Le 9 janvier 2023, la section départage du Conseil de prud’hommes de Paris a eu à statuer sur la qualité du travailleur inscrit en tant qu’auto-entrepreneur exerçant des missions depuis plusieurs mois au sein d’une entreprise avec laquelle il avait été mis en relation par l’intermédiaire de la plateforme numérique, STAFFME.
Pour la première fois, une juridiction a retenu que la plateforme numérique devait être considérée comme une entreprise de travail temporaire.
- Revenons d’abord sur les faits de cette affaire
Ce travailleur avait été mis en relation avec cette société par l’intermédiaire de la plateforme numérique STAFFME se décrivant comme une entreprise visant à « permettre à d’autres entreprises de faire réaliser par des prestataires indépendants ou par d’autres personnes des missions ponctuelles ».
Le travailleur demandait au Conseil de prud’hommes de juger que les relations contractuelles soient requalifiées en contrat de travail tant à l’égard de la société utilisatrice, le glacier, que de la plateforme numérique.
Le syndicat professionnel PRISM’EMPLOI est intervenu volontairement à l’instance en sollicitant notamment des dommages et intérêts au titre du préjudice à l’intérêt collectif de la profession des entreprises de travail temporaire.
Les Conseillers de la Section encadrement du Conseil de prud’hommes de Paris s’étaient placés en partage de voix[1] et l’affaire avait été renvoyée devant le Juge départiteur du Conseil de prud’hommes de Paris.
Le Juge départiteur a considéré qu’un lien de subordination était établi entre la société utilisatrice et le travailleur, dans la mesure où pendant près de vingt mois,
- il avait été soumis aux mêmes instructions que les salariés de l’entreprise utilisatrice,
- il ne disposait d’aucune autonomie dans l’exécution de ses fonctions,
- il devait justifier des horaires effectués,
- il travaillait plus de 30 heures par semaine.
Le lien de subordination avec l’entreprise utilisatrice était donc clairement établi, de sorte qu’elle devait nécessairement être tenue des conséquences juridiques liées à la reconnaissance d’un contrat de travail.
S’agissant de la qualité de la plateforme numérique à l’égard du travailleur, le Conseil de prud’hommes de Paris a, en usant d’un habile raisonnement, reconnu sa qualité de co-employeur.
Après avoir rappelé la définition des entreprises de travail temporaire, la juridiction a considéré que la plateforme numérique qui, au terme d’un processus de sélection, présente le travailleur à la société utilisatrice et détermine sa rémunération, agissait comme une entreprise de travail temporaire.
Le Conseil de prud’hommes de Paris a également relevé le pouvoir de sanction donné à la plateforme numérique, laquelle avait la possibilité d’exclure le travailleur en cas de « notation » insuffisantes données par l’entreprise utilisatrice.
Dans ces conditions, selon la juridiction, il importe peu que la plateforme numérique ne donne pas de directives au travailleur.
En effet, ce seul fait ne permet pas d’écarter l’existence d’un lien de subordination dans la mesure où, s’agissant des entreprises de travail temporaire, le salarié reçoit les directives de l’entreprise utilisatrice et reste pourtant bien salarié de l’entreprise de travail temporaire.
Ainsi, compte tenu de ce lien de subordination, la plateforme numérique doit être considérée comme co-employeur du travailleur.
La plateforme et l’entreprise utilisatrice sont donc tenues solidairement des condamnations prononcées à l’égard de l’entreprise utilisatrice.
Dans ces conditions, la juridiction a fait droit à bon nombre des demandes du salarié en condamnant notamment solidairement les deux sociétés (rappels de salaire, de congés payés, indemnité de travail dissimulé de six mois de salaire, indemnité de licenciement, de licenciement sans cause réelle et sérieuse et de préavis).
Le Conseil a également jugé que le syndicat professionnel PRISM’EMPLOI était parfaitement recevable à intervenir volontairement dans la procédure et à solliciter la réparation de son préjudice dès lors que « le prétendu travailleur indépendant est en réalité un salarié et que les dispositions relatives au travail temporaire sont éludées ».
Son préjudice a été évalué à 7.000€.
- Quelles suites seront données à cette décision ?
On peut légitimement supposer que, à l’instar des contentieux relatifs aux plateformes proposant des services de transports, de multiples actions mettant en cause les plateformes de mise à disposition de travailleurs soient diligentées à l’avenir.
Les juridictions confirmeront-t ’elles le lien de subordination à l’égard de la plateforme numérique ? Utiliseront elles les mêmes indices que ceux relevés par le Juge départiteur dans sa décision du 9 janvier dernier ? Le lien de subordination à l’égard de la plateforme numérique sera-t-il conditionné à la reconnaissance d’un lien de subordination à l’égard de l’entreprise utilisatrice ?
Sur ce point, les faits de la décision rendue le 9 janvier par le Conseil de prud’hommes de Paris présentaient de forts indices tendant à reconnaître l’existence d’un lien de subordination.
On peut toutefois légitiment s’interroger sur le raisonnement qui serait adopté en l’absence de lien de subordination avec l’entreprise utilisatrice.
Dans ce cas, les juges choisiront ils d’écarter la reconnaissance d’un lien de subordination en établissant que l’activité de la plateforme consisterait, en elle-même, à un service de mise à disposition de travailleurs temporaires ?
Les questions sont nombreuses et une position claire des juridictions sur le sujet serait particulièrement opportune.
Cette décision du Conseil de prud’hommes de Paris peut également remettre sur le devant de la scène le débat portant sur la légitimité même de l’activité de la plateforme numérique de mise à disposition du personnel, en ce qu’elle s’affranchie de la réglementation applicable à l’activité réglementée de mise à disposition de travailleurs temporaires.
Enfin, il est aussi loisible de penser que cette première décision marquera un premier recul des entreprises utilisatrices de plateforme numérique de mise à disposition de personnel, compte tenu des risques éventuels qu’elles encourent.
- Les risques encourus par l’entreprise utilisatrice
Au regard de la décision du 9 janvier dernier, l’entreprise faisant appel à des travailleurs indépendants par l’intermédiaire d’une plateforme numérique court le risque d’être exposé à d’importantes condamnations liées au recours à ce statut inadapté.
En plus du risque important en cas d’action prud’homale, l’entreprise utilisatrice, pourrait voire sa responsabilité pénale engagée au titre d’un prêt de main d’œuvre illicite.
Le prêt de main d’œuvre illicite est définie comme une opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main d’œuvre sauf exceptions expressément prévues par la loi dont le statut d’entreprise de travail temporaire.
Les sanctions peuvent aller jusqu’à une amende de 150.000€ outre d’éventuelles peines complémentaires (interdiction d’exercer certaines activités professionnelles, exclusion des marchés publics, publication du jugement dans les journaux, pour exemples).
Sur le plan civil, le contrat passé entre le fournisseur de main d’œuvre et l’entreprise utilisatrice est nul de plein droit.
Enfin, l’administration peut également refuser d’accorder certaines aides publiques pendant une durée maximale de cinq ans, demander le remboursement de celles perçues au cours des douze derniers mois ou encore ordonner par décision motivée la fermeture d’un établissement ayant servi à commettre l’infraction pendant trois ans maximum.
Rappelons enfin que, conformément à l’article L.8222-2 du Code du travail, toute personne condamnée pour avoir recouru directement ou par personne interposée aux services de celui qui exerce un travail dissimulé, est tenue solidairement avec celui qui a fait l’objet d’un procès-verbal pour délit de travail dissimulé :
- Au paiement des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations dus par celui-ci au Trésor ou aux organismes de protection sociale ;
- Le cas échéant, au remboursement des sommes correspondant au montant des aides publiques dont il a bénéficié ;
- Au paiement des rémunérations, indemnités et charges dues par lui à raison de l’emploi de salariés n’ayant pas fait l’objet de l’une des formalités prévues aux articles L.1221-10, relatif à la déclaration préalable à l’embauche et L.3243-2, relatif à la délivrance du bulletin de paie.
Ainsi, à date, il est clair que ces activités de mise à disposition de travailleur exercées par les plateformes numériques sont susceptibles de générer bon nombre de contentieux sur les plans civil, pénal ou même administratif.
[1] Le Conseil de prud’hommes est une juridiction paritaire. Les Conseillers prud’homaux sont pour moitié des représentant des salariés et pour moitié des employeurs. Il arrive donc que la juridiction ne se mette pas d’accord sur la décision à prononcer. L’affaire est alors renvoyée à une audience en présence d’un Magistrat professionnel.
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